4eme partie complète!
Finalement elle est encore là, résistant bravement à l’assaut des marguerites et de la Distorsion. J’entre doucement chez moi. Ma mère n’est pas là, cherchant certainement de l’eau au puis. Et mon père continuait d’enfiler le Village.
Seule dans la pièce principale où régnait une ambiance étouffante, je sors afin de cueillir des olives pour ce soir. L’olivier rabougri adossé au mur ocre ne donnait que des fruits atrophiés, faute au poison des fleurs géantes montant lentement dans sa sève, le condamnant à une lente agonie. Aussi je ne suis pas surprise de voir que ma cueillette se résume à une petite poignée.
Je dépose le tout dans un bol et me mit à songer à dormir malgré mon ventre vide. Impossible. J’ai trop faim.
Pour passer cette sensation, je me décide à manger quelques olives, à contrecoeur, une fois vérifié que le poison n’avait pas atteint l’aliment.
Tysro était mort d’empoisonnement à cause d’une olive contaminée, peu après Delta.
Je ne suis pas d’humeur à me rappeler de cet instant, où je l’avait retrouvé gisant sur le sol, face contre terre, froid. Mort.
On dit que le sommeil porte conseil. Je n’en ai pas à demander, mais le sommeil fait passer le temps.
Je prépare mon lit et me glisse dedans. Je ne tarde pas à sombrer.
Je suis tranquille, au fond de mon lit, recroquevillée en position fœtale. Pour une fois, mon esprit est parfaitement clair, sans sentiments qui l’encombrent, me faisant voir le monde d’une façon crue.
Un fracas sans nom me tire hors de mon lit. Dehors je vois des gens hagards, pour certains grièvement blessés , un côté du visage maculé de sang. Le fracas ne cesse pas, et un nuage de poussière s’élève des Niveaux Inférieurs. Le grondement s’amplifie, emplissant l’air de son bruit grave. Le sol tremble, il pleut des gravas. Les marguerites se tortillent, fouettent le sol de leurs grandes feuilles grises. Certaines s’affaissent, d’autres se dressent, c’est le chaos le plus total. Les enfants gémissent sous l’averse d’ocre, les parents se tordent les mains.
Encore une secousse. Plus violente que toutes les précédentes, annonçant peu à peu la fin .D’ailleurs c’est peut-être la dernière, l’Engloutisseuse, comme l’appelle les habitants.
En tout cas, c’est bien parti pour la fin du monde.
Tout s’arrête brusquement, aussi vite que c’était arrivé. Les derniers cailloux chutent dans la distorsion.
Il semblerait que la Distorsion nous laisse encore un sursis, du moins pour les survivants. Car une secousse de cette ampleur-là laisse des traces irréversibles. Sans doute un bout du village a basculé. Ma curiosité me pousse à regarder quelles parties sont tombées.
Tout de suite, ça saute au yeux que les Niveaux Inférieurs ont été particulièrement touchés. Je commence à m’enfoncer dans le Village quand une réplique me plaque au sol, me couvre de gravas et élargit les fissures de l’endroit où je me trouve. Malgré mon bras en sang, je rampe en toussant jusqu’à un lieu plus sur. Bien m’en prend, car une roche énorme, un mastodonte, se plante pile à l’endroit où je me trouvait. Je réussit à me mettre debout à l’aide d’une ruine de mur, appliqua une bande de ma tunique contre ma blessure à l’épaule. Le tissu ne tarde pas à devenir rouge sang.
La réplique de la secousse s’arrête aussi nettement que sa précédente. C’est à ce moment là que je me rends compte d’où je suis. De quel bâtiment vient ce bout de mur.
Du refuge. Sans le vouloir, un peu plus tôt , j’ai mené des enfants dans les bras de la Distorsion. Je suis sonnée, mais je me reprends vite. De toute façon, si je ne faisait pas, je ne pourrait pas me relever.
Je remonte le petit chemin menant au centre du Village. Ici, tout est intact, à part les Marguerites qui semblent mal en point. C’est l’expression des gens qui a changé. De la molle indifférence face à leur sort, on était passé à une grimace inquiète. Pourtant, ce n’est pas la première fois, ni certainement la dernière, qu’il vivront une secousse. De plus, tout prédit que la prochaine sera encore plus dramatique.
Je ne les comprends pas. Il faut dire que j’ai coupé tout lien affectif depuis longtemps. Tout mes amis sont morts, les uns après les autres. Mes parents sont pour moi comme des inconnus. Le seul lien relationnel que j’ai est avec Lucius. Et on ne peut pas dire que ça soit la joie. Cependant, j’ai la rage de vivre, aussi longtemps que je pourrait. C’est-ce qui m’a permis de rester ici, dans un monde en perte, certes, mais vivante.
En écoutant les personnes à côté de moi, j’apprends que l’école n’est plus. Au moins, me voila débarrassée d’une contrainte. Mon seul regret est que je ne verrais certainement plus beaucoup Lucius.
On peut vraiment dire que toutes mes relations sont au point mort, pour souhaiter voir mon pire ennemi.